Du Bon Usage de la Couleur
September 21, 1991
by Philippe Dagen
Le Monde

Deux generations, deux conceptions antagonistes de la peinture

GERHARD RICHTER
la galerie Durand-Dessert

DAVID ROW
la galerie Thaddeus Ropac

Gerhard Richter est honorablement connu dans l’art moderne. Né à Dresde en 1932, il a popularisé, depuis près de trois décennies, une technique de la négation de la peinture par la peinture parfaitement au point.

Tantôt, il expose des représentations illusionnistes d’objets arrangés en natures mortes qui ressemblent à des photographies sépia légèrement tremblées, quelque chose comme de vieux clichés d’amateur tirés en grand format. Tantôt, par un effet de contradiction calculé, il expose des peintures abstraites chamarrées, rouge sang et vert pomme. Elles brillent si fort que nul ne peut les soupçonner de quelque intention expressionniste.

Les oeuvres qu’il a accrochées dans la nouvelle galerie de Liliane et Michel Durand-Dessert, vaste, très vaste galerie, relèvent de ce second genre. Tant qu’elles étaient encore fraîches, il a essuyé les couleurs de manière à les écraser et à leur enlever ce qui pouvait leur rester de gestualité et d’élégance.

On dirait donc des Mathieu ou des Schneider râpés et élimés. Une fois le procédé aperçu et l’intention didactique comprise _ on ne peut plus peindre comme autrefois, il faut être froid et neutre _, que reste-t-il des tableaux ? Tout juste le souvenir d’une démonstration méthodique jusqu’à la monotonie. Richter fait du Richter, sans se lasser.

David Row fait, lui, si l’on peut dire, de l’anti-Richter. S’il lui arrive de recourir au procédé du balayage afin d’obtenir des stries parallèles dans la matière colorée, ce n’est pas pour neutraliser la peinture, mais pour l’exalter. Américain, âgé d’un plus de trente ans, Row se refuse à admettre que l’art ne puisse plus avoir d’autre ambition désormais que d’annoncer à intervalles réguliers son agonie et son décès. Il cherche à construire des tableaux de plus en plus complexes et à trouver des équilibres chromatiques de plus en plus justes.

Caveau noir

Avec des toiles de format rectangulaire qu’il juxtapose et emboîte, il compose des figures architecturales. Chaque élément a sa dominante, avivée par une dissonance acide ou la complémentaire de la dominante, qui transparaît sous la surface. Des ellipses sombres ôtent aux oeuvres ce qu’elles pourraient avoir de trop simplement géométriques. Car telle est à l’évidence la volonté du peintre : s’éloigner le plus vite possible de la religion du monochrome et de la manie de l’angle droit, rendre à l’exercice pictural la diversité que lui refusent les tenants entêtés de la dérision. Alors qu’un certain modernisme, post-minimal et post-conceptuel, celui de Richter par exemple, tourne à l’académisme, une peinture telle que la sienne, séduisante sans être facile, riche sans être décorative, laisse espérer que la peinture puisse, lentement, sortir du caveau noir où tant d’ ” artistes ” s’acharnent à l’emmurer.